La fermentation comme outil de création

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La mère de kombucha de Raphaël, une membrane gélatineuse composée de levures et bactéries naturelles. Âgé de 2 ans, cet organisme vivant transforme le sucre de son mélange de thé et sapin en acide lactique en quelques jours seulement. Photo : Radio-Canada/Allison Van Rassel



Utilisée en alimentation depuis des millénaires afin de préserver les aliments, la fermentation fait partie de notre quotidien. Toutefois, une nouvelle génération de chefs au Québec redécouvre cet outil de conservation comme procédé hors pair pour laisser exprimer « la quintessence des goûts ».

UN TEXTE DE ALLISON VAN RASSEL

« La fermentation en cuisine, c’est comme de la ''dope'', explique Raphaël Vézina, chef au restaurant Laurie Raphaël à Québec. Ça développe de l’umami, un goût parfaitement équilibré qui envoie un signal de plaisir ultime au cerveau. »

Un aliment fermenté est un aliment dont la structure moléculaire est modifiée par des microorganismes (bactéries, champignons, levures) et dans lequel se développent de nouveaux goûts.

Le pain, le vin et la bière sont de parfaits exemples d'aliments utilisant la fermentation.

L’umami, la cinquième saveur que la cuisine japonaise a mise au monde et dont raffolent les chefs, se développe grâce à la fermentation.

Pour arriver à développer tout le potentiel savoureux d’un ingrédient, il faut un minimum de connaissances, d’outils et de temps, une équation avec laquelle le cuisinier de Québec s’amuse de plus en plus ces deux dernières années.

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Le Laurie Raphaël fait son propre pain à partir d'un levain qui prend lentement forme au frais. Photo : Radio-Canada/Allison Van Rassel

Guide d’apprentissage

Raphaël avoue être au tout début de son exploration avec la fermentation.

Pour s'informer sur les différentes techniques reliées à la fermentation, il fait appel au livre The Noma Guide to Fermentation du réputé chef du restaurant Noma, René Redzepi rédigé en collaboration avec le directeur de fermentation de son établissement de Copenhague, David Zilber.

La fermentation est l’un des fondements de l’expérience gastronomique du restaurant danois Noma, récipiendaire à quatre reprises du prix du meilleur restaurant au monde, selon le jury du World’s 50 Best Restaurants.

Plusieurs chefs au Canada voient le travail de Redzepi comme une inspiration afin d'exhaler les parfums des produits d’ici.

« Le but n’est pas de faire les mêmes choses que fait Noma, explique Vézina, mais d’avoir en main les outils pour exprimer notre terroir à nous. » Un terroir, dit-il, qui fait partie intégrante de ce que Redzepi qualifie comme la nouvelle cuisine nordique.

Ce sont ces mêmes désirs qui ont poussé le chef Émile Tremblay de Faux Bergers à Baie-Saint-Paul à mettre la main sur le bouquin.

Le livre permet de comprendre la mécanique derrière la fermentation. Après, tu es capable de dire : "j’ai une tondeuse et une souffleuse, je sais comment tout ça fonctionne, alors je vais faire une tonffleuse."

Émile Tremblay, chef copropriétaire Faux Bergers.

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Le koji d’Émile : cet ingrédient fermenté révèle des goûts d’orge, champignon et fromage bleu. C’est à partir de koji que l’on fabrique le miso, le shoyu ainsi que nombreux autres aliments fermentés de tradition japonaise. Photo : Radio-Canada/Allison Van Rassel

En compagnie de son acolyte en cuisine, Sylvain Dervieux, Émile Tremblay explore les différents profils aromatiques qu’offre la fermentation aux produits issus du terroir de Charlevoix.

Pour les copropriétaires, la fermentation est d'abord un outil de conservation qui bonifie le goût des aliments.

C’est super simple la fermentation. Un coup que tu as compris la mécanique, c’est de la conservation bonifiée. C’est une charge en umami incroyable. L’acidité qui sort de ça me fait capoter.

Émile Tremblay, chef copropriétaire Faux Bergers.

Les propriétaires souhaitent aussi éviter le gaspillage alimentaire.

« On avait une rangée de choux dans notre jardin cet été qu’on ne voulait pas gaspiller, raconte Émile. Il goûte vraiment bon notre chou et on veut le maximiser à l’année. On l’a fait fermenter avec du sel, simplement. On évite de gaspiller un produit en même temps qu’on développe des nouvelles saveurs », poursuit-il.

Le défi du temps

Les chefs sont unanimes, le grand défi dans l’utilisation de la fermentation dans leur cuisine est le temps; soit il fait son œuvre ou il détruit l’effort investi.

Une « méthode essai-erreur » où la maîtrise du temps cause encore beaucoup de maux de tête aux cuisiniers.

« Est-ce que c'est là que c’est le meilleur ou c’est demain?, se questionne Raphaël presque tous les jours. Soudainement, c’est trop acide! Finalement, c’était prêt le jour d’avant. On est un peu dans le néant avec la fermentation, mais c’est aussi ça la beauté de la chose. »

Même son de cloche pour les chefs de Faux Bergers alors qu’ils tentent de développer une croustille de chou fermenté.

« On n’a pas encore trouvé la bonne température pour déshydrater notre chou une fois qu’il est fermenté, explique Émile Tremblay. Si tu déshydrates le chou alors qu’il est encore trop chaud, l’amertume se développe. On veut aussi trouver la bonne température pour que la réaction de Maillard, [une réaction chimique qui provoque la caramélisation], ait lieu avec la fermentation, mais éviter que l’amertume se développe pendant la déshydratation. »

La croustille de chou a un goût salé et exprime de l’acidité et l’umami. Tout ça dans un légume et sans friture. « C’est complètement capoté », ajoute Émile.

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Les « confitures de vieux garçons » du Laurie Raphaël : fruits de la saison 2017 conservés dans de l’alcool neutre avec du sucre : rhubarbe, fraise, bleuet, prune et pommettes. Une autre technique de conservation des aliments. Photo : Radio-Canada/Allison Van Rassel

Au menu en ce moment, Raphaël s’amuse avec des carottes et des kumquats. Il aimerait travailler avec des produits de saison, mais il avoue profiter de l’hiver pour peaufiner sa technique avec un maximum de produits.

« La fermentation, c’est l’avenir, croit-il. On imaginait une pilule comme alimentation du futur, alors que la cuisine du futur, c’est pas mal plus un retour aux bases. »